De quoi la pluralité des termes pour parler des recherches et sciences participatives est-elle le nom ?

Séminaire annuel du LPED – 28 mars 2024

Aymeric Luneau

Sesstim (AMU) et médialab (Sciences Po Paris)

27 mars 2024

Enjeu des mots

"Et j’aurais tendance à ne pas l’appeler recherche participative, mais recherche collaborative.”

"Qui dit recherche interventionnelle, dit souvent recherche interventionnelle co-construite avec les acteurs et donc participative."

"Nous, le terme qu’on utilise, c'est recherche partenariale."

Une petite illustration

Recherches participatives: connaissances et reconnaissances (Colloque de Caen, novembre 2023)

Qu’apportent les sciences participatives aux pratiques de la recherche (séminaire 2024 du Centre d’Alembert)

Les sciences citoyennes au LPED, Kézaco ? (séminaire annuel du LPED)

L’approche taxonomique

La première approche possible pour affronter cette pluralité est l’approche taxonomique: on va classer les différentes pratiques en fonction de leurs points communs et leurs différences.

  • Les projets définis et pilotés par une institution académique dans lesquels la participation se limite pour l’essentiel à collecter des données.

  • Les projets conduits conjointement par différentes parties prenantes afin de résoudre un problème collectif

L’approche sociologique

Considérer les termes comme le résultat de configurations sociales qu’il s’agit d’analyser.

  • Enjeu scientifique : comprendre comment les pratiques de recherche se transforment

  • Enjeu “normatif” : reconnaître et défendre un pluralisme épistémique au sein du champ des recherches et sciences participatives.

Une sociologie politique et pragmatique des “sciences citoyennes”, des “recherches participatives”, etc.

Sociologie politique: Analyser les configurations d’acteurs qui influent sur la manière de concevoir les sciences ou les recherches participatives (Demortain 2019; Frickel and Moore 2006)

Mais aussi analyser le travail politique déployé par les acteurs pour établir ou critiquer la légitimité des pouvoirs (Dodier 2003)

Sociologie pragmatique : saisir les problèmes que les acteurs (chercheurs et non-chercheurs) cherchent à résoudre à travers le déploiement des “sciences citoyennes”.

La recherche participative au pluriel

Disciplines et champs de recherche

Les mots des chercheur.euses

La science participative permet de prendre en compte les savoirs des gens. Donc pour moi la recherche participative, quand il s’agit de la recherche-action est indispensable. Et j’aurais tendance à ne pas l’appeler recherche participative, mais recherche collaborative. Parce que pour moi, le mot participatif c’est “je pense un truc et vous participez, je vous donne la parole”. Pour moi une recherche collaborative c’est la capacité même au début de poser les questions ensemble, d'avoir une négociation sur comment on pense le truc.

Recherches interventionnelles et partenariales

— Nous, le terme qu’on utilise, c'est recherche partenariale.
— D’accord. Du coup... ces recherches partenariales, ça consiste en quoi ?
— L’idée, c’était de faire une alliance entre des chercheurs et des praticiens, si on veut, et de bâtir leurs recherches à partir des besoins énoncés par les praticiens.

On appelle ça de la recherche interventionnelle [...] Alors ce n’est pas tout à fait la question que vous posez de la recherche participative, mais qui dit recherche interventionnelle, dit souvent recherche interventionnelle coconstruite avec les acteurs et donc participative parce que ce ne sont pas les chercheurs qui, tous seuls dans leur bulle académique, vont imaginer ce qu’il faut faire.

Le cadre institutionnel

À l’origine c’est une collaboration avec la Croix rouge française. Ils ont approché l’IRD en 2013 et le deal c’était que... il fallait que le sujet soit décidé collectivement avec différents acteurs sur place, dont la Croix rouge française, la Croix rouge locale, le département VIH du ministère de la Santé.

Et après il y avait un autre volet sur... je trouvais que c’était intéressant de travailler avec ces ONG locales de personnes vivant avec le VIH... et on a en fait formé ces personnes à faire de la recherche biographique... Donc à l’issue de plusieurs sessions de formation, chaque personne devait choisir deux personnes parmi leur entourage et essayer de faire des entretiens biographiques.

Cultures épistémiques, mouvements sociaux et terrains

Le champ disciplinaire, à travers les valeurs épistémiques et les modes d’enquête dominants, détermine le champ des possibles en matière de recherches participatives

"On avait des questions auxquelles on ne pouvait pas répondre, même si on avait une histoire de 50 ans de recherche au laboratoire, pour des questions au champ on n’avait pas du tout ni de manière de faire ni de réponse, rien du tout. Donc on s’est rapidement rendu compte que sans producteur on ne pouvait rien faire et qu’il fallait qu’on aille vers eux dans les champs."

L’effet des thématiques sur le style de recherche participative est à rapprocher du fait qu’elles sont liées à des mouvements sociaux différents.

En Amérique latine, il y a une conscientisation politique liée aux grands mouvements sociaux. Donc, on va avoir des gens qui vont dire clairement : “écoutez, votre énième méthode participative, ça ne m’intéresse pas du tout. Donnez-nous le projet, donnez nous l’argent et c’est nous qui allons gérer.”

Un exemple avec la Citizen science

Les deux origines du terme Citizen science

1995 : Alan Irwin (sociologue britanique)

— une recherche scientifique qui doit refléter les préoccupations citoyennes (Irwin 1995; Strasser et al. 2020)

— une recherche scientifique "responsable", orientée vers la protection de l’environnement et de la santé ;

— une « forme de science » produite par les citoyens et citoyennes, à l’image des enquêtes d’« épidémiologie populaire » décrites par Phil Brown (1987)

1996, "Citizen Science: a Lab Tradition" : Richard Bonney (ornithologue au Cornell Lab of Ornithology, USA)

Le premier correspond à un usage du terme introduit au milieu des années 1990 par le sociologue britannique Alan Irwin (1995) pour décrire une science plus participative, plus démocratique. Le second correspond à un usage du terme qu’on peut attribuer à Rick Bonney (1996), directeur de programme au Cornell Laboratory of Ornithology, alors qu’il essayait de décrire les projets où des “non-scientifiques” contribuaient à la collecte de données scientifiques. (Cooper, Lewenstein, 2016, p. 53)

Un programme de recherche de sciences participatives

« La citizen science consiste en l’implication du public dans la recherche scientifique » (site Internet de la CSA : https://​www​.citizenscience​.org, accès le 15/10/2021).

« La citizen science implique une participation et une collaboration du public à la recherche scientifique » (site Internet de l’ACSA : https://​citizenscience​.org​.au/​who​-we​-are, accès le 15/10/2021)8.

« Citizen Science — la participation des citoyens aux activités de la recherche scientifique » (ECSA, 2015a).

Brown, Phil. 1987. “Popular Epidemiology: Community Response to Toxic Waste-Induced Disease in Woburn, Massachusetts.” Science, Technology, and Human Values 12 (3/4): 78–85. http://www.jstor.org/stable/689386.

Demortain, David. 2019. “Les Jeux Politiques Du Calcul: Sociologie de La Quantification Dans l’action Publique.” Revue d’anthropologie Des Connaissances 13 (4). https://doi.org/10.3917/rac.045.0953.

Dodier, Nicolas. 2003. Leçons politiques de l’épidémie de sida. Cas de figure. Paris: École des hautes études en sciences sociales.
Frickel, Scott, and Kelly Moore, eds. 2006. The New Political Sociology of Science: Institutions, Networks, and Power. Science and Technology in Society. Madison, Wis.: University of Wisconsin Press.

Irwin, Alan. 1995. Citizen Science: A Study of People, Expertise and Sustainable Development. Environment and Society. London: Routledge.

Strasser, Bruno, Jérôme Baudry, Dana Mahr, Gabriela Sanchez, and Elise Tancoigne. 2020. “"Citizen Science"? Rethinking Science and Public Participation.” Science and Technology Studies 32 (2): 52–76. https://doi.org/10.23987/sts.60425.